mercredi 24 juin 2009

Mao, mon grand frère

En mars, je vous raconterai l'annonce de mon VIH à mon frère et ma mère. (ici)

Mon frère, Mao, prend aujourd'hui la parole, comme Noémie il y a peu. Il raconte comment il a vécu l'annonce. Je me rends compte qu'à 6000km de moi, ce ne devait pas être évident.

Petite précision : je n'avais pas peur de sa colère, j'avais peur qu'il s'effondre. Mais comme je disais précédemment, mon frère est de ces hommes qui pensent qu'il ne faut pas pleurer en public. Jamais.
Son texte est à son image : brut de pomme et honnête.
Et je l'aime toujours inconditionnellement.

Voici donc sa lettre
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Elisabeth et moi c'est une vieille histoire... Ca doit faire 35 ans que l'on se connait.
Nous avons à peine un an de différence : elle a toujours été dans ma vie, j'ai toujours été dans la sienne.
Nous avons toujours été là l'un pour l'autre, même lorsque les parents avaient démissionnés...

Au début de cette histoire, une grossesse : chouette ! cool ! enfin !
Cet enfant sera comme le mien !

Ah elle l'a perdu ?!? Bon ben ça arrive, 1 grossesse sur 4 échoue dans les 3 premiers mois.
C'est connu, c'est dans les stats, même un ami gynéco m'avait confirmé le fait.

Hein quoi un rhume ?!? Oui bon ben ça arrive...
Hein quoi le rhume s'est transformé en bronchite ?!? Oui bon ben pourquoi pas...
Hein quoi c'est devenu une pneumonie ??!? L'homéopathie c'est de la merde, on le savait, faut changer de médecin,
on se repose et puis ça va passer ... Ah ? Ok!!
Hein quoi t'es à l'hôpital ?!? Oui c'est grave une pneumo... mais toi ca va ? rien de grave ? bon OK.

Petit mail du père (copier-coller) "T'es au courant pour Zabeth ?"
Ma réponse :
"??? Quoi pour Zabeth ?
Une bronchite ?
Ça, c'est aggravé ?"

Puis autre mail de moi 5 mn plus tard (le temps de la réflexion) : "Si tu voulais faire plus alarmant, tu ne pourrais pas..."
Là s'en suit une crise du père, il est en plein de délire, je ne réponds pas.
En tout cas, appel à la frangine, j'ai un peu peur, la gorge serrée, j'ai pas envie de la perdre, c'est quoi le message du père, ça veut dire quoi ?
Ça va ? ça va ! T'es sûre que ça va ? Tu n'as pas besoin que je vienne ? Non non ça va !!

Bon ben ça va, je vais la croire... Quelques appels les jours suivants, elle est guérie tout va bien !

Arrive ensuite l'été: Elisabeth doit venir me retrouver chez des amis dans le Sud.
Ça fait un an que nous ne nous sommes pas vus.
Je la trouve un peu bizarre, tendue... Pas à l'aise... Pourtant ces amis, elle les connait depuis longtemps, elle les adore.. Mais là juste un petit bonjour de courtoisie, un peu de présence pour ne pas être malpolie et départ.
Dans la voiture, l'ambiance est... bizarre, on attend qu'il se passe qq chose...
A peine sortie du village, une fruiterie avec un parking. La voiture est vite garée: elle doit me dire qqchose...
Oulala... De quoi s'agit-il.. et puis je vois qu'elle n'est vraiment pas bien, la bouche déformée par les sanglots
coincés dans la gorge... Putain y a eu un décès dans la famille: mon père !
Les pleurs sortent en même temps que les mots : elle a le sida.

Dans ma tête 2 sentiments mélangés:
* MERDE ! un gros MERDE géant ! celui de la fatalité, celui que l'on voulait éviter, celui qui arrive après
"jusque-là-ça-va ". MERDE.
* Ouf, c'est que çà !

Ben oui c'est que ça, elle est vivante, elle est là dans mes bras, c'est elle que je serre, il n'y a rien de changé.
On ne meurt plus du sida de façon fulgurante dans d'affreuses douleurs...
Je ne sais pas de quoi elle avait peur... Que je crie, que je la renie, que je l'engueule...
Ben non, devant sa douleurs il n'y avait pas d'autre réaction que de la serrer fort et lui
dire "je t'aime".

Je ne sais plus ce que j'ai dit.

Mais voilà elle est vivante, c'est le principal. Le reste ? ben, c'est du détail.

Le reste du voyage a été tranquille plus serein, on en a parlé un peu, pas plus que cela, il me semble.

Depuis, la vie suit son cours... J'y pense régulièrement, je pleure sur ses posts, je sais qu'un jour ce sera
dur, il va y avoir une fin, peut-être plus proche que pour d'autre, certainement trop tôt, certainement pas belle,
certainement que nous ne finirons pas nos jours ensemble dans une grande maison à la campagne...

Mais peut-être qu'elle va simplement se briser les cervicales en glissant sur une peau de banane.
Ou alors j'aurais une crise cardiaque et je mourrais avant elle...

Mais aujourd'hui, il n'y a rien de changé, les traitements sont bien supportés, le colloc se tient tranquille,
et d'ailleurs il y a tellement de place dans ce corps là , qu'ils y vivent maintenant à trois
avec un petit Bernard l'hermitte... On croise les doigts...

Mao.

7 commentaires:

  1. Chapeau bas!
    J'aimerais aussi avoir un grand frère...
    Et je croise aussi les doigts!

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  2. Quel frère et c'est bon de le savoir près de vous même éloigné par la distance.
    Il se dire que la vie ne peut être que belle, avec cette petite vie qui grandit et qui va avoir des parents formidables et un super tonton
    je vous embrasse
    christiane

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  3. @Anonyme et Christiane :
    Je mesure effectivement ma chance d'avoir un grand frère avec une relation aussi forte.

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  4. Elisabeth,
    voilà déjà quelques seemaines que je te lis ...
    J'aime ton témoignage, ou plutôt ta façon de le raconter, de voir les choses ...
    Chapeau bas ...
    Salom.

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  5. Merci beaucoup Salome. j aime bien ton prénom ;-)

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  6. Oh là là. Je te lis que depuis hier (merci Sonia...), et j'ai du retard à rattraper.
    T'as un frère en or! En or massif! J'en ai 3, et pas un seul ne lui arrive à sa cheville.
    Suis triste pour ta maladie. J'ai entendu ce matin aux infos, que le génôme du virus du sida venait d'être décodé...
    J'te souhaite plein de courage, et je croise les doigts pour que ta grossesse se passe sans encombre.
    Bonne journée.

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  7. je ne sais meme pas comment je suis arrivée sur ton blog, mais de fil en aiguilles j'ai lu et je suis extremement touchée!!! Lire une lettre si personnelle a qq chose de troublant, mais ses mots sont si émouvants!!!
    Je ne sais pas ce que c'est que de vivre avec le sida, mais ça doit être plus rassurant de savoir qu'on a de telles personnes à ses cotés!!!
    bon courage

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