jeudi 12 mars 2009

Ma mère, mon frère

Ma mère a ce côté hyper rigide, très "british", qui fait d'elle une mère pas très expansive ni très expressive.
Ma mère a cette capacité à s'enfermer dans sa coquille d'un seul coup, clac. Enfermée. Plus rien ne passe.
Ma mère est très timide. Elle passe souvent pour hautaine mais c'est très souvent de la timidité.
Ma mère est une femme seule depuis des lustres et des lustres et des lustres. Elle s'est habituée à sa solitude.

Alors, le jour où je l'ai appelée pour lui demander de venir me voir à l'hôpital, je l'ai sentie s'enfermer, clac. je l'ai sentie agacée de devoir bouger de chez elle, agacée de ne pas savoir pourquoi elle devait venir.
Je l'ai laissée prendre son temps. Elle a mis 3 jours à venir.
Quand je lui ai annoncé dans un demi sanglot que j'avais le sida, elle n'a pas pleuré. Ma mère ne pleure pas. Elle a baissé les yeux, pris ma main dans la sienne. Elle était triste, mais elle n'a pas pleuré. Elle est restée 3 jours avec moi. Elle m'a accompagnée dans le service hospitalier qui me prendrait désormais charge, mon virus et moi. Là, elle a pris tous les docs possibles et inimaginables qui parlaient du sida. Sans rien dire. Elle ne m'a jamais rien dit.

Par contre, elle a été contrariée d'apprendre qu'elle ne devait sous aucun prétexte en parler à mon frère.

Mon frère est de ces hommes qui pensent qu'il ne faut pas pleurer en public. Jamais.
Mon frère est grand, beau, drôle, sensible, intelligent (et je n'exagère pas, non !) mais il a ce petit côté rigide de ma mère.
Mon frère et moi sommes vraiment très très proches. Je l'aime inconditionnellement. ça ne se discute pas.
Mon frère habite à 6000km de là et devait venir 2 mois plus tard..

En attendant, il ne devait pas savoir. Déjà, quand il a appris que j'étais à l'hôpital, il m'a appelé bouleversé, agité, en me suppliant de ne pas mourir. Alors comment j'aurai pu lui annoncer au téléphone que j'avais le sida et le laisser ensuite tout seul, à 6000km de là ? Impossible.
J'ai donc décidé d'attendre qu'il rentre. D'ici là, ni mon père, ni ma mère ne devait parler.
Mais ma mère angoissait de garder ça pour elle. Elle était persuadée que mon frère allait lui faire la gueule, parce qu'elle n'avait rien dit. J'avais beau la raisonner, rien à faire, je la sentais stressée, perturbée.

2 mois plus tard. Je n'étais plus à l'hôpital mais au soleil au bord de la route, sur un parking minable avec mon frère. J'étais allée le chercher en voiture chez des amis. Je regardais ces amis, je retrouvais mon frère, heureuse mais la boule au ventre. Je racontais des bêtises, des banalités, tout en pensant "oh la la, il faut que je lui dise, comment je vais lui dire, comment va t-il réagir...". La boule au ventre, le cœur en chamade.
Dès qu'on a quitté nos amis, je me suis arrêtée sur le 1er parking pourri que j'ai vu. je ne pouvais plus attendre. 2 mois que je ne dormais pas, à imaginer comment l'annoncer, à imaginer sa réaction.
On est descendu de la voiture et je lui ai dit.
Il est parfait dans le rôle de grand frère protecteur. Il l'a toujours été. Il m'a prise dans ses bras, triste pour moi. Profondément triste. Il m'a demandé si je voulais qu'il revienne à côté de moi. J'ai sourit. Naaaan, on fait comme on a dit, on se retrouve pour notre retraite !

Quand on a repris la route, je lui ai dit d'appeler ma mère. C'est là, qu'elle a craqué. Elle a pleuré au téléphone. 2 mois sans rien dire, c'était trop dur pour elle. Elle a pleuré mon sida, elle a pleuré son secret. Elle avait transféré toute sa peine sur l'angoisse que mon frère puisse l'engueuler. Et tout éclatait aujourd'hui. J'aurai voulu la prendre dans mes bras, et m'excuser de lui faire vivre ça.

Ma mère a ce petit coté rigide, mais qu'est-ce qu'elle est touchante.

3 commentaires:

  1. ça fait du bien de lire ça… ça change de toutes ces histoires de séparation, de rejet, d'exclusion qu'on a tous en tête ou quelque part du côté du vécu. je repense à tous ceux ou celles qui sont partis, seuls. à tous ceux ou celles qui vivent leur maladie avec les travailleurs sociaux ou le personnel médical pour seuls soutiens. à tous ceux qui espèrent qu'un jour, ils seront entendus par leur famille. Merci pour ton témoignage. je me permettrais de m'en servir pour expliquer aux jeunes qu'accepter, c'est possible.

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  2. "mais il a ce petit côté rigide de ma mère." Ta mère !!!

    Je t'aime Zabeth.

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  3. @Dr Kpote : Ma famille a effectivement été là pour moi. Même si nos rapports n'ont pas toujours été faciles.
    Thomas est resté aussi. J'ai eu de la chance.
    Je ne sais pas où tu travaille, mais sers-toi. C'est pour ça que j'ai ouvert ce blog. Nous pouvons également en discuter par mail. Avec plaisir.

    @Anonyme : Moi aussi, je t'aime, frérot.

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