samedi 14 février 2009

Thomas

Les médecins ont mis quelques jours à diagnostiquer la pneumocystose, cette maladie opportuniste qui annonce qu'on a le sida. Avec Thomas, on attendait que le verdict tombe. Il était beaucoup plus inquiet que moi. J'ai ce côté insouciante, un peu perchée, qui le fait souvent halluciner.

Les médecins entraient parfois à 5 ou 6 dans ma chambre, à discuter entre eux de mes symptômes, à m'interroger, à émettre des hypothèses...Quand l'un d'eux a émis la possibilité de me faire le test de dépistage du VIH, j'étais hyper zen, persuadée qu'il faisait fausse route, tellement je me souvenais de mon dernier test, tellement persuadée de ne pas avoir merdé, peut-être même d'être au-dessus de tout ça...
Bref, la suite vous la connaissez...(cf cet article).

Quand j'ai appris que j'avais le sida, les médecins voulaient d'abord confirmer leur verdict. C'est comme ça que je suis restée toute une soirée avec Thomas à lui cacher la terrible nouvelle. Il venait me voir chaque soir après son travail. Ce soir là, on regardait des séries sans importance à la télévision, et je passais mon temps à le caresser, à raconter des bêtises pour le faire rire. J'adore le faire rire. J'adore qu'il enchaine avec moi sur mes bêtises. J'étais persuadée que c'était la dernière soirée qu'on passait ensemble. Je me disais "il est jeune, il est charmant, plein de vie, il va partir quand il saura...il doit partir, partir pour vivre". Et tant pis si je retourne à mon célibat, si je finis vieille fille...de toutes façons, je vais mourir bientôt. J'étais triste, je ne réalisais pas l'ampleur de mes pensées mais je me souviens parfaitement que j'étais persuadée que j'allais mourir et que Thomas devait partir. Alors j'enfouissais mon visage dans son cou, pour sentir l'odeur de sa peau et m'en imprégner le plus possible, pour qu'elle reste un souvenir olfactif indéfectible.

Le lendemain, les médecins m'ont donc confirmé que j'avais le Sida. Comme prévu. Je ne m'attendais pas à autre chose. Alors, quand Thomas a appelé le matin, j'ai voulu soulager ses inquiétudes et je lui ai dit en m'efforçant d'être gaie "ça y est, ils ont trouvé ce que j'ai...j'ai une pneumocystose...mais on en parlera ce soir".
Ce que j'ignorais alors c'est que pneumocystose=sida...C'est écrit dans le formidable outil qu'est internet. Si vous tapez ce mot dans le moteur de recherche, vous tombez sur la définition suivante du wikipédia :La pneumocystose est une «infection opportuniste» due à un micro-organisme, Pneumocystis jiroveci (anciennement appelé Pneumocystis carinii). L'infestation à P. jiroveci est très courante dans la population générale, de l'ordre de 70%, mais ne conduit à une maladie pulmonaire que lorsque le taux de lymphocytes T CD4+ circulants est inférieur à 200/ml. Les deux types de patients concernés sont les greffés sous immunosuppresseurs et les patients séropositifs VIH au stade SIDA.

Et voilà...Thomas en raccrochant le téléphone, s'est immédiatement précipité sur Internet et il a probablement lu ça.
Une demi-heure plus tard, la médecin est entrée dans ma chambre et m'a dit :"J'ai votre ami au téléphone. Il sait. Il veut des réponses"
Je me suis agitée dans mon lit en disant qu'il ne devait pas apprendre comme ça, non, non, je voulais le voir pour lui dire...ça n'allait pas du tout...mon pauvre chéri.
Une demi-heure plus tard, je l'ai vu débarqué. Il avait quitté son boulot aussi sec. De ma chambre, je voyais les gens entrer dans l'hôpital, et je l'ai vu arrivé vite, tourmenté. Je l'ai vu rentré dans ma chambre avec cet air paniqué, et un brin de colère et il m'a sorti un truc du genre "qu'est ce que c'est que ces conneries?". Oh putain, c'était dur, un 2ème cataclysme. J'ai réalisé le mal que j'allais faire aux gens que j'aime avec mes conneries. C'est la 1ere fois que j'ai pleuré sur mon sort de malade. Et c'est au milieu de mes sanglots que j'ai dit "j'ai le sida". Il s'est précipité dans mes bras et il a pleuré. On a pleuré ensemble.

Revenus au calme, on s'est interrogé sur son sort. Peut-être que c'était lui qui m'avait infecté, même si j'avais l'intime conviction que c'est moi qui avait merdé pendant mes années de célibat... On s'est avoué notre fidélité et il a filé faire une prise de sang. Négatif. Je ne sais pas par quel miracle, mais il n'a pas été contaminé. Pourtant on copule sans préservatif depuis des lustres dans tous les coins, toutes les poses. Mais il n'est pas contaminé. Un soulagement. Il pouvait maintenant me quitter... mais il est resté, sans jamais se poser de questions sur l'avenir de notre couple.

2 commentaires: